Favoriser le retour à l'emploi

Publié le par Pascal Terrasse

Extraits d'une contribution au projet des Socialistes proposée par Pascal Terrasse.


 

Depuis une vingtaine d’années, la situation des jeunes face à l’emploi a focalisé l’attention des pouvoirs publics et suscité la mise en place de politiques spécifiques pour endiguer le chômage de masse des moins de 25 ans. Les Socialistes ont ainsi promu les emplois-jeunes en 1997, dispositif dont on mesure d’autant plus l’importance depuis que la Droite l’a supprimé. De même, à l’occasion de sa rentrée politique, le Premier Ministre a-t-il annoncé début janvier 2006 toute une série de mesures (par ailleurs très critiquables) à destination des jeunes dont le très controversé CPE. Cette focalisation sur l’entrée des jeunes dans la vie active a contribué à occulter un problème qui est au moins aussi important et qui concerne l’emploi des seniors et la gestion des fins de carrières.

1. Les faits. Le taux d’emploi des seniors en France est l’un des plus faibles parmi les pays de l’OCDE : Une tendance lourde se confirme depuis près de trente ans : la baisse prononcée du taux d’activité des travailleurs « âgés » et notamment ceux de plus de 55 ans. Ce phénomène ne touche pas seulement la France (il concerne aussi certains de ses voisins comme l’Italie ou la Belgique) mais il est particulièrement prononcé dans notre pays : ainsi le taux d’emploi des 55-64 ans est aujourd’hui plus faible en France que dans les autres pays de l’OCDE (en 2002 il était de 34,2 % contre 49,4 % en moyenne pour l’OCDE). (…)

 2. Des causes bien identifiées.

Les politiques d’incitation aux départs anticipés.

La diminution du taux d’emploi des seniors s’explique en grande partie par la mise en place des dispositifs de préretraites au début des années 1980. Il était alors question, pour faire face à une dégradation du marché du travail qui pénalisait d’abord les jeunes, de permettre aux salariés de cesser leur activité par anticipation tout en bénéficiant d’un revenu de remplacement financé par l’employeur et par l’État. Au total un peu plus de 8 millions de salariés ont bénéficié de l’un des six principaux dispositifs de préretraites. A partir de la fin des années 1980, un effort a été entrepris pour limiter l’accès aux préretraites, notamment par leur renchérissement pour les entreprises. Cependant, les dispositifs supprimés ont été remplacés par de nouveaux, depuis la création des dispenses de recherche d’emploi (par le gouvernement Chirac en 1986) jusqu’à la mise en place des mesures de cessation anticipée d’activité (CATS) adoptée au début des années 2000. L’objectif louable et largement partagé de ces mesures était de « laisser la place aux jeunes » en favorisant le retrait d’activité des travailleurs âgés. Malheureusement, cette politique de type malthusien s’est révélée fort peu payante : la diminution de l’emploi des seniors n’a pas profité aux plus jeunes. (…) 

De multiples freins à l’embauche des seniors : 

Le seul impact des dispositifs de préretraites ne suffit pas cependant à expliquer totalement les problèmes que rencontrent les séniors sur le marché du travail. Deux types de facteurs ont été identifiés qui permettent également d’expliquer pourquoi le taux d’emploi des 55-60 ans est si faible en France. 

Les premiers sont spécifiques au marché du travail : ce sont les coûts d’ajustement, qui peuvent concerner les différentes catégories de main-d’œuvre. En France, cela vise principalement la taxe Delalande qui impose à l’entreprise un prélèvement financier au bénéfice de l’Unedic sur le licenciement des plus de 55 ans. De même, les indemnités de licenciement étant croissantes avec l’ancienneté, le coût de licenciement des travailleurs âgés est, en moyenne, supérieur à celui des jeunes. Ainsi, de façon naturelle dans un environnement concurrentiel accru et face à une mondialisation des échanges qui pousse à une réactivité de plus en plus grande de la part des entreprises, l’ajustement des masses salariales se fera prioritairement au niveau des jeunes (phénomène lié essentiellement à la plus grande facilité et au moindre coût de licenciement pour cette catégorie de travailleurs), entraînant par ricochet un effet d’exclusion des travailleurs âgés sur le marché du travail. (…) 

 

L’autre facteur à prendre en considération renvoie aux mécanismes généraux de l’ajustement de la demande. Comme sur tout marché intervient sur le marché du travail un « rapport qualité/prix » qui porte ici principalement sur le rapport du salaire à la productivité des différentes catégories de travailleurs. Ainsi on observe, à mesure qu’ils s’approchent de l’âge de la retraite, une légère mais néanmoins réelle diminution de la productivité chez les travailleurs âgés. Le tassement des gains de productivité avec l’âge peut en partie s’expliquer par une diminution de l’effort de formation des travailleurs âgés. En effet, du point de vue des entreprises, une formation professionnelle n’est pas un investissement susceptible d’être rentabilisé sur un nombre suffisant d’années pour des individus qui approchent de l’âge de la retraite. (…)

D’autres causes à explorer : Une troisième série de facteurs, d’ordre culturel ou organisationnels dans l’entreprise, doivent être pris en compte si l’on veut comprendre dans sa globalité le problème des travailleurs âgés face à l’emploi et apporter des réponses efficientes qui sortent des sentiers battus. En incitant les salariés à retarder leur cessation d’activité (par la mise en place d’un système de décote qui pénalise les sorties anticipées de la vie active), la réforme Fillon sur les retraites a privilégié une approche centrée sur l’offre. Mais ce qui se passe du côté de la demande de travail a été totalement occulté. Or, comprendre comment les entreprises s’adaptent au vieillissement et quelles sont les mesures qu’elles mettent en œuvre pour garder plus longtemps leurs travailleurs âgés constitue un enjeu au moins aussi important. Les études auxquelles nous avons pu accéder montrent que les entreprises se sentent encore peu concernées par la question du vieillissement : un dirigeant sur deux n’a jamais réfléchi au sujet et la pyramide des âges ne fait l’objet d’une gestion anticipée que dans une entreprise sur cinq. Globalement, les travailleurs âgés souffrent de représentations négatives (moins grande adaptabilité aux nouvelles technologies et aux changements, moindre polyvalence, moindre motivation, etc. ) qui bloquent le comportement des employeurs à leur égard. Il y a donc bien lieu de travailler également, sinon principalement, sur cet aspect du problème si on veut conduire une action efficace en matière d’emploi des travailleurs âgés. 

 

 

3. Quatre propositions pour sortir de cette situation : 

Proposition 1 : limiter les mesures de retrait d’activité et supprimer les freins à l’embauche des seniors.

Le préalable à la mise en œuvre d’une politique efficace de maintien ou de retour à l’emploi des seniors réside dans la suppression des dispositifs qui, objectivement, détournent les employeurs des salariés âgés qui sont jugés trop chers et dont le licenciement est difficile et coûteux (il ne s’agit pas là d’un jugement personnel, mais du constat d’un comportement largement répandu). On ne peut limiter notre action à ces simples mesures, mais il apparaît difficile à contrario de développer une politique ambitieuse en direction de ces travailleurs tant que certains freins n’auront pas été levés. 

Ainsi, il semble nécessaire de limiter l’accès aux dispositifs de préretraites. De fait, ces dispositifs sont considérés par les entreprises comme des moyens efficaces et faciles pour se dédouaner de leurs obligations à l’égard des salariés et transférer vers la collectivité la charge de leur reclassement qu’elles ne souhaitent (ou ne peuvent) pas assumer. Ce phénomène, qui vient par ailleurs alourdir considérablement les comptes de la protection sociale (il faut y ajouter l’accroissement des congés maladies ainsi que du nombre de pensions d’invalidité qui sont venues se substituer, comme nous l’avons vu plus haut, aux dispositifs de préretraite), induit une prise en charge financière des fins de carrière par la Sécurité sociale alors qu’elle relève en fait des entreprises (reclassement) et l’assurance chômage (formations etc.). 

Autre frein à l’emploi des travailleurs âgés que l’ensemble des partenaires sociaux s’accorde à vouloir remettre en cause, la contribution Delalande devra être supprimée et remplacée par un dispositif plus dynamique incitant à une gestion anticipée des fins de carrière dans les entreprises. Ce dispositif pourrait s’appuyer sur la modulation des cotisations patronales : à l’instar de ce qui pourrait être mis en place pour lutter contre les emplois précaires, cette modulation permettrait de lutter contre la discrimination qui touche les travailleurs âgés.

Proposition 2 : agir sur le marché du travail et renforcer les mesures d’accompagnement à la recherche d’emploi pour les seniors.

Une véritable mobilisation nationale de tout le service public de l’emploi est nécessaire. Sous l’impulsion des politiques publiques d’aide à l’emploi des jeunes, les efforts ont été focalisés sur les moins de 25 ans, considérés comme prioritaires. La facilité avec laquelle l’administration du travail a accordé le bénéfice des mesure de retrait anticipé aux entreprises en difficulté (comme ce fut le cas, après la sidérurgie, pour les secteurs du textile, de la chaussure etc.) n’a pas incité les acteurs de l’emploi à se mobiliser pour les chômeurs de plus de cinquante ans, puisqu’on les savait pris en charge par ailleurs...

Or, il est impératif de renforcer les mesures d’accompagnement à la recherche d’emploi adaptées à la population des plus de cinquante ans, en s’inspirant par exemple des dispositifs mis en place en Autriche ou aux Pays-Bas. 

Ainsi, il sera nécessaire de définir un suivi spécifique des seniors, afin qu’ils soient traités de façon dérogatoire par rapport aux autres publics. Des objectifs quantifiés par région, impliquant chaque agence locale pour l’emploi, et la tenue d’un séminaire annuel associant l’ensemble des acteurs de l’emploi seraient de nature à susciter une implication forte de toutes les structures intervenant dans le champ de l’emploi. 

  

Proposition 3 : accroître les efforts en matière de formation professionnelle pour favoriser le maintien des travailleurs âgés dans leur emploi. 

On l’a dit, les travailleurs âgés participent beaucoup moins aux programmes de formation professionnelle que les travailleurs plus jeunes. Or, la formation professionnelle est un enjeu capital pour permettre aux travailleurs de s’adapter aux nouvelles contraintes d’une économie de plus en plus internationalisée et où la pénétration des nouvelles technologies modifie radicalement les conditions de travail et le rapport à la production. S ’ils n’ont pas accès aux formations, les travailleurs âgés seront donc déclassés plus facilement que les jeunes sur le marché de l’emploi. 

Il est donc indispensables de créer les conditions d’un meilleur accès à la formation professionnelle pour ces travailleurs, notamment en développant un droit individuel de formation. Cet objectif est à rapprocher des réflexions développées dans la perspective d’une Sécurité sociale professionnelle pour tous les travailleurs. Avec des carrières de moins en moins linéaires, où les périodes de chômage sont de plus en plus fréquentes entre deux contrats de travail, il est donc impérieux d’élaborer un système de compte individuel de formation abondé par les employeurs et par les salariés, qui ouvre droit à un véritable droit individuel à la formation professionnelle tout au long de la vie. 

Il y a urgence à mobiliser les partenaires sociaux sur ce sujet, car en la matière, rien ne pourra s’entreprendre en dehors de la négociation sociale. 

Pour autant, la puissance publique ne doit pas s’interdire de jouer sur certains leviers pour favoriser l’aboutissement rapide de ce dossier. Ainsi, on pourrait maintenir un certain volant de préretraites pour gérer les situations de crises dans certains secteurs d’activité, mais en conditionner l’accès à la mise en place, dans les entreprises, de mesures spécifiques pour aménager les fins de carrières : missions de tutorat, bilans de compétences, dispositifs de formation spécifiques, aménagement du temps de travail etc. Parallèlement au développement de la formation professionnelle, il sera certainement souhaitable, pour valoriser l’expérience professionnelle des travailleurs peu diplômés, de développer les systèmes de reconnaissance, de certification et de validation des compétences professionnelles.  

 

Proposition 4 : aménager les fins de parcours et moduler le dispositif de départ à la retraite en fonction de la pénibilité du travail. 

Il faut arrêter de véhiculer l’image que la vie professionnelle s’arrête dès le début de la cinquantaine. C ’est une idée trop communément admise dans les entreprises. Or, les entreprises pourraient trouver un intérêt à fidéliser les travailleurs âgés, surtout les plus expérimentés, plutôt que de les écarter. Une campagne nationale de sensibilisation pourrait ainsi être mise en place qui permette de valoriser l’expérience acquise en fin de carrière, par exemple à travers le développement du tutorat. On pourrait s’inspirer ici de l’initiative conduite par la Finlande avec le slogan « l’expérience est une richesse nationale ». Parallèlement, et dès lors qu’on retient comme objectif de maintenir jusqu’à l’âge de la retraite chaque travailleur dans l’emploi, la réflexion doit impérativement porter sur l’amélioration des conditions de travail. Il est primordial d’inciter les partenaires sociaux à se saisir de cette question afin que la qualité des emplois et les conditions de travail de tous les travailleurs, quel que soit leur âge, devienne un objectif dans chaque entreprise. 

On l’a vu, l’une des causes avancées par les employeurs pour justifier la mise à l’écart des travailleurs âgés renvoie à la perte de motivation dont ces derniers seraient l’objet à l’approche de la retraite. Or , nous pensons que la perte de lisibilité concernant l’âge de départ à la retraite d’une part (57 ou 59 ans pour certains travailleurs contre 60, 62 et peut-être 65 ans demain pour la grande majorité d’entre eux) et surtout le niveau des pensions affecté par la décote constituent une explication bien plus convaincante que l’âge dans la perte de motivation qui peut être affecter les travailleurs en fin de carrière. Ainsi, nous sommes persuadés que l’ouverture de nouvelles opportunités professionnelles pour les travailleurs âgés comme l’amélioration des conditions de travail auront un impact sur le bien-être des salariés au travail et donc sur leur productivité. En outre cela permettra d’éviter la dégradation prématurée de la santé des jeunes et sera largement bénéficiaire au maintien des travailleurs vieillissants dans l’emploi. Pour autant, nous ne visons pas à obliger l’ensemble des travailleurs à prolonger leur activité à tout prix, surtout lorsque leurs conditions de travail sont reconnues comme étant pénibles. C’est là que notre réflexion rejoint celle sur les retraites et nous envisageons de maintenir, de façon dérogatoire au droit commun, des dispositifs de préretraites pour les emplois les plus pénibles. 

 

A ces quatre propositions, nous ajouterons un dernier point en posant la question des femmes face à l’emploi. Les femmes sont en effet les premières concernées par les carrières incomplètes et leur corollaire, à savoir les pensions de retraites misérables auxquelles elles ouvrent droit. Ainsi, en posant la question des travailleurs âgés, il apparaît primordial de rechercher des solutions aux problèmes spécifiques des femmes âgées face à l’emploi. Sans créer de nouvelles discriminations fondées sur le sexe, il faudra adopter des dispositions spécifiques pour faciliter le retour à l’emploi des femmes qui ont interrompu leurs carrières pour élever des enfants (ces dispositions devront être ouvertes aux hommes qui seraient dans la même situation, bien qu’ils soient infiniment moins nombreux dans ce cas). De la même manière, pour leur garantir un revenu décent sans leur imposer des fins de carrières chaotiques (multiplication d’emplois précaires et de temps partiels mal rémunérés etc.), nous sommes favorables à l’assouplissement des conditions de cumul d’un emploi avec le versement d’une pension de retraite pour les carrières incomplètes.

 

 

 

 

 

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