Intervention de pascal terrasse lors du vote de la loi de financement de la sécurité sociale

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Réforme de la loi de financement de la Sécurité Sociale

intervention en séance, le 3 mai 2005

Article publié le mercredi 4 mai 2005

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues,

1996 avait fait naître un espoir en matière de vote d’un « budget » de la sécurité sociale.

La loi constitutionnelle du 22 février 1996, les ordonnances du 24 avril 1996, ainsi que la loi organique du 22 juillet 1996, avaient suscité un réel intérêt et un espoir certain, en introduisant le vote, chaque année, par le Parlement d’une loi de financement de la sécurité sociale.

Enfin, la représentation nationale allait être amenée à délibérer, à partir du rapport annuel de la Conférence Nationale de Santé, sur un montant et une évolution de la dépense sociale - qui s’avère d’ailleurs bien supérieure aux dépenses de l’Etat.

Enfin, un choix véritable allait il pouvoir être effectué quant au montant de cette dépense sociale ; des arbitrages allaient ils pouvoir être rendus, en toute connaissance de cause, entre les différentes missions collectives, en prenant en compte les objectifs et les priorités de santé publique définis sur un plan politique.

C’est peu de dire que cet espoir a été déçu.

Pour des raisons tenant sans doute à une volonté politique insuffisamment affirmée, ainsi qu’à l’imperfection des outils d’évaluation et du système global d’information, la LFSS, avec l’ONDAM qui lui est attaché, n’ont pas été ancrés dans le domaine sanitaire ; bien plus ils ont été essentiellement conçus, de façon empirique, à partir d’éléments macro-économiques et comptables, sans qu’il soit fait référence aux priorités de santé publique proposées par les plus hautes instances scientifiques de notre pays.

Rien d’étonnant, dans ces conditions, qu’il y ait depuis plusieurs années une déconnection manifeste entre les dépenses votées et les impératifs sanitaires auxquels notre pays se trouve confronté.

Pire, les dépassements systématiques des dépenses votées ont entaché, année après année, la crédibilité du vote du Parlement ; de fait, les premières années, les propositions faites par le Gouvernement au Parlement étaient dépourvues du réalisme le plus élémentaire, lorsqu’il était fixé un taux d’évolution des dépenses inférieur à 3%, alors que les seuls déterminants objectifs de ces dépenses (démographie, progrès technique et croissance économique) sont responsables, à eux seuls, d’une croissance des dépenses de 3% à 3,5%.

Quant à la technique du « rebasage », qui consiste à prendre en compte, pour calculer l’évolution de l’ONDAM de n-1 à n, non pas l’ONDAM voté par le Parlement pour n-1, mais le montant prévisionnel des dépenses réalisées pour n-1, tel que constaté par la Commission des comptes de la sécurité sociale, ne va pas non plus dans le sens de la transparence. La pratique des constats (qui a consisté à pratiquer des actualisations de prévisions de dépenses, sans que l’on puisse percevoir la mise en œuvre de marges de manœuvre), l’a toujours emporté sur l’exigence des buts à atteindre.

De plus, aucune opposabilité de l’ONDAM, même relative, c’est-à-dire limitée à l’incidence des déterminants subjectifs (comportements socio-culturels, représentation de la santé...), n’a été prévue ; la loi du 13 août 2004 a bien instauré un comité d’alerte en cas de dépassement des prévisions d’un certain montant, mais elle est demeurée très évasive sur les solutions à apporter.

Enfin, la fixation par le gouvernement de sous objectifs au sein l’ONDAM (enveloppes), délimités de façon rigoureuse, a eu pour effet de figer les évolutions, et d’instaurer de préjudiciables cloisonnements entre les différents domaines du sanitaire et le médico-social.

De ce fait, on a, de nos jours plus que jamais, la désagréable impression que le système évolue pour son propre compte, avec, pour corollaire, un incontestable déficit démocratique.

Or ce que je voudrais vous démontrer ici, c’est que l’actuel projet de loi organique, loin de pallier ces lacunes, risque de pérenniser un certain nombre de défauts graves.

Cela apparaît d’autant plus dommageable que le débat est d’importance : il mérite d’être posé en des termes plus explicites, à la représentation nationale mais aussi à l’ensemble des Français. Car ce dont il s’agit, c’est de quatre points fondamentaux, que je me propose de développer ici :

Une procédure d’adoption indigne, conduite de façon précipitée et sans aucune concertation.

Une première hypocrisie consistant à prétendre qu’on redonne du pouvoir au Parlement, alors que celui-ci ne voit en aucun cas renforcée sa capacité de se prononcer en cours d’année sur les mesures nécessaires.

Une seconde hypocrisie consistant à parler, dans le sillage de la LOLF, d’une logique de résultat, alors qu’on ne s’en donne pas les moyens.

Une déconnection encore plus profonde entre les objectifs de santé publique revendiqués, et une maîtrise purement comptable, par le pilotage d’un solde financier.

Une procédure indigne

Je voudrais, ici, vous rappeler le contexte du dépôt de ce projet de loi organique.

Tout d’abord, celui-ci s’analyse comme le troisième volet du triptyque législatif que composent la réforme des retraites, la réforme de l’assurance maladie, et celle du financement de la Sécurité Sociale. En ce sens - pour avoir activement participé au dossier sur les retraites, je suis bien placé pour le savoir -, il s’agit là d’un enjeu majeur. C’est tout notre système de protection sociale qui est en jeu : un système qu’il s’agit de protéger, de sauvegarder, et pas seulement dans le court terme. Autrement dit, cela méritait un débat non seulement approfondi, mais encore élargi au plus grand nombre d’acteurs possibles.

Or qu’avons-nous vu, sinon de la précipitation ? Pourquoi n’avoir pas pris le temps d’auditionner plus longuement les partenaires sociaux, qui avaient pourtant demandé à plusieurs reprises à être entendus ? Les réunions de dernière minute au Ministère ne peuvent tenir lieu de concertation...

Cette absence de réel dialogue avec les acteurs du système constitue du reste un élément négatif et bloquant, dans la mesure où ces acteurs ne peuvent se sentir engagés par une évolution des dépenses non concertée... S’il y a avait bien pourtant une leçon que l’on devait tirer de la mise en œuvre des lois de financement depuis 1996, c’était bien celle-ci : le dispositif ne peut fonctionner sans concertation. Ainsi le processus conventionnel, établi sans concertation en amont, s’est-il révélé d’une très grande fragilité juridique ces dernières années, durant lesquelles le destin de toute convention avec les professionnels de santé a été d’être annulée par le Conseil d’Etat.

Par ailleurs, toujours sur la procédure, je voudrais rappeler, en tant que membre de la Commission des Finances, que ce projet de loi organique se voulait l’équivalent d’une LOLF de la Sécurité Sociale. Le 7 mars dernier, le Premier Ministre a en effet confié à Monsieur Didier MIGAUD, député, ainsi qu’à Alain LAMBERT, une « mission sur le suivi de la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances », et plus spécifiquement, sur « la possibilité d’étendre les principes de la LOLF, au-delà du périmètre de l’Etat, aux collectivités territoriales et à la Sécurité Sociale ».

Là encore, Monsieur le Ministre, une telle précipitation est-elle vraiment sérieuse ? Lorsque l’on sait que c’est précisément sa procédure qui donné son caractère exceptionnel à la LOLF, comment ne pas voir dans le nouveau projet de loi organique une réplique bâclée et imparfaite de la première ? Or ce défaut procédural se répercute sur le fond de la réforme, qui, comme on va le voir, est loin d’avoir les mêmes conséquences sur le pilotage des comptes sociaux que la LOLF en aura sur les comptes de l’Etat.

Un Parlement insuffisamment compétent

Compte tenu de la façon dont a été présenté le projet de loi organique, le motif essentiel aurait dû être un renforcement significatif et réel du rôle de la représentation nationale en matière de comptes sociaux. Or non seulement celle-ci ne voit pas sa compétence véritablement renforcée, mais elle perd même, comme je vais m’efforcer de vous le montrer, une partie de son initiative au profit du tout-puissant directeur de l’UNCAM. 

Or c’est d’autant plus regrettable que les modalités de la campagne budgétaire 2005 ont plus que jamais montré la nécessité d’une plus grande transparence : je pense notamment au fait que les principes concernant l’identification des dépenses de psychiatrie, qui avaient été adoptés par les parlementaires dans le cadre du vote de l’ONDAM, n’ont pas été respectés par l’exécutif, dans le cadre de la circulaire budgétaire du 4 mars 2005.

Avant d’identifier les faiblesses du rôle du Parlement si l’on suit ce que prévoit le projet de loi, je me dois néanmoins de noter, tout d’abord, qu’il comporte quelques avancées. Ainsi, le nouvel article LO 111-3, qui scinde la LFSS en deux parties, prévoit dans la première que le Parlement approuve le rapport qui décrit les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses par branche des régimes obligatoires de base et du régime général, ainsi que l’ONDAM, pour les quatre années à venir.

Il prévoit en outre que la loi rectifie, pour l’année en cours, les prévisions de recettes et les tableaux d’équilibre des régimes obligatoires de base, dont le régime général et des organismes concourant au financement de ces régimes, ainsi que les objectifs de dépenses de ces régimes, l’ONDAM et ses sous-objectifs.

Enfin, le loi de financement détermine, pour l’année à venir, les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale ; pour cela elle prévoit les recettes par branche de chaque régime obligatoire de base, et elle retrace cet équilibre dans des tableaux d’équilibre, en arrêtant la liste de l’ensemble de ces régimes, ainsi que les limites dans lesquelles leurs besoins de trésorerie peuvent être couverts par des ressources non permanentes.

Ainsi, le Parlement peut-il se prononcer sur le solde des régimes obligatoires de base, dont le régime général, et la présentation, branche par branche, des tableaux d’équilibre améliore l’information du Parlement, ainsi que la portée de son vote.

Dans la deuxième partie, il est prévu que la LFSS fixe par branche les objectifs de dépenses des régimes obligatoires de base, dont le régime général, ainsi que l’ONDAM de l’ensemble de ces régimes, avec les sous-objectifs d’initiative gouvernementale. De cette façon, le vote du Parlement portera également sur les enveloppes de l’ONDAM. 

Par ailleurs, le nouvel article LO 111-3 élargit le champ d’application de la LFSS, en y intégrant des mesures qui en sont pour l’instant exclues, alors même que leur objet les lie étroitement à l’équilibre de la sécurité sociale, pour l’année même ou pour les années ultérieures. Il peut s’agir de dispositions relatives à la gestion des risques, ou modifiant substantiellement la gestion interne des régimes de base, ainsi que des dispositions ayant trait à l’amortissement de la dette de ces régimes, et de celles relatives à la mise en réserve de recettes.

Par là même, la LFSS peut comporter des mesures qui relèvent aujourd’hui du processus conventionnel, et qui le fragilisent sur le plan juridique ; en outre, elle prévoit dorénavant le principe de provisions de précaution durant d’éventuelles années fastes, s’adaptant ainsi à des cycles économiques ou à des résultats favorables sur le plan de la gestion des risques.

Enfin, la LFSS devra dorénavant prendre impérativement en compte toutes les dispositions affectant les objectifs de dépenses et les prévisions de recettes, même si celles-ci sont inscrites dans un autre texte législatif ou réglementaire ; cet alinéa du projet de loi est destiné à assurer la sincérité des LFSS.

Ces avancées sont certaines, Monsieur le Ministre, et vous voyez que j’en conviens. Mais c’est précisément la raison pour laquelle je voudrais vous montrer que vous n’êtes pas allé jusqu’au bout de votre logique. Permettez-moi ainsi de relever trois éléments, qui, selon moi, sont la marque d’une persistance de la faiblesse du contrôle parlementaire.

- 1) Premièrement, s’il est vrai que la portée de l’ONDAM devrait être renforcée par la loi organique, en particulier grâce à l’instauration de sous-objectifs détaillés permettant de distinguer les grands postes de charges, le rôle de la représentation nationale ne devrait pas être sensiblement renforcé.

En effet, en l’état, le projet de loi ne permet pas à la représentation nationale d’apprécier les choix proposés par l’exécutif en termes de répartition de l’objectif national de dépenses en sous-objectifs : il entend faire du périmètre de chacun des sous-objectifs un « monopole » à l’initiative du seul gouvernement, sans garantie de lisibilité pluriannuelle (notamment si les périmètres des sous-objectifs sont modifiés d’une année sur l’autre).

Il apparaît dès lors nécessaire de proposer une définition claire des différentes grandes composantes de l’objectif de dépenses, pour apporter à la représentation nationale une lisibilité et une traçabilité dans les affectations des dépenses d’assurance-maladie : ce serait la seule modalité qui lui permettrait d’apprécier les politiques conduites en termes de priorités sanitaires et médico-sociales d’une part, et de recomposition de l’offre hospitalière, médico-sociale et ambulatoire d’autre part, dans un ensemble global très vaste.

La lisibilité et la traçabilité de la dépense publique ne doivent pas pour autant engendrer des rigidités quant à l’évolution de l’organisation des soins : aussi conviendrait-il d’introduire clairement la notion de fongibilité entre sous-objectifs, tout en tenant compte des particularités introduites pour les secteurs des personnes âgées et des personnes handicapées avec la création de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (« sanctuarisation financière des ressources »).

- 2) En second lieu, je voudrais insister sur le fait que le principal argument avancé par le gouvernement pour vanter le renforcement du pouvoir du Parlement n’est pas acceptable. Le vote se fait en effet sur un solde (déficit ou excédent) limitatif, et non sur un « objectif » : ce solde est calculé en cohérence avec le rapport sur la situation et les perspectives économiques, sociales et financières de la nation prévu par l’article 50 de la LOLF.

Or, en réalité, cela ne renforce en rien la portée du vote du Parlement, puisque aucun mécanisme contraignant n’est introduit par le présent projet de loi en cas de dépassement des objectifs, à la différence de ce qui existe dans les lois de finances.

Vous avez, Monsieur le Ministre, justifié cet état de fait par la différence de nature, réelle et incontestable, entre les dépenses de l’Etat et celles de la Sécurité Sociale, qui ne peuvent être plafonnées a priori, ainsi que par votre volonté de promouvoir une « maîtrise médicalisée des dépenses ».

Le problème est que rien ne garantit un contrôle réel du Parlement. En effet, si le solde vient à s’écarter de celui qu’il avait voté, le Parlement n’est pas appelé à débattre des moyens permettant de respecter ce dernier ; de la même façon, il n’a pas les moyens de prévoir un nouveau solde compte tenu des modifications de l’environnement économique et social (par exemple pour éviter, en voulant à tout prix tenir le solde initial, de prendre des mesures procycliques qui pourraient aggraver la situation de l’économie). Les mesures de pilotage du solde dont entièrement renvoyées vers l’UNCAM et le gouvernement. Il serait pourtant plus pertinent qu’il revienne au Parlement, dans le cadre d’un collectif social, de se prononcer sur les mesures qu’il juge légitimes : hausse des recettes, baisse des dépenses - qui peut prendre de multiples formes, comme le démontre le gouvernement actuel...

- 3) En troisième lieu, Monsieur le Ministre, le projet de loi ne met pas fin à une technique qui est la quintessence de l’insincérité et de l’opacité de la détermination de l’ONDAM : je veux parler de la technique dite du « rebasage ».

Comme je l’ai rappelé tout à l’heure, cette technique consiste à prendre en compte, pour calculer l’évolution de l’ONDAM de n-1 à n, non pas l’ONDAM voté par le Parlement pour n-1, mais le montant prévisionnel des dépenses réalisées pour n-1 tel que constaté par la Commission des Comptes de la Sécurité Sociale. Pour un projet de loi qui se veut le pendant de la LOLF pour les comptes de la Sécurité Sociale, il est très dommageable de ne pas remettre en cause cette technique, génératrice d’insincérité autant que d’opacité !

Une impossible logique de résultat

La troisième remarque que je souhaiterais faire, Monsieur le Ministre, est que la LFSS, telle qu’elle est présentée ici, obéit essentiellement à une logique de « moyens », délaissant totalement une logique « objectifs/résultats » - seule susceptible, pourtant, d’une véritable évaluation, tant quantitative que qualitative, à l’instar de ce qui est prévu pour les finances de l’Etat par la loi organique du 1er août 2001.

Certes, me rétorquerez vous, le nouveau projet de loi, qui réécrit les articles LO 111-3 et LO 111-4 du code de la sécurité sociale, apporte quelques avancées.

Ainsi prévoit-il le caractère pluriannuel de la procédure des LFSS, sur quatre exercices, à partir du tableau approuvé au titre de l’article LO 111-3, avec des prévisions en cohérence avec les perspectives d’évolution des recettes et des dépenses des administrations publiques.

En outre, il prévoit les annexes au texte de loi, et notamment une annexe introduisant une logique « objectifs/résultats » dans le prolongement de la démarche engagée en 1996 par les conventions d’objectifs et de gestion, liant l’Etat et les caisses nationales, qui s’inspire des dispositions de la loi organique du 1er août 2001 intégrant le concept d’évaluation des politiques publiques dans les lois de finances.

De fait, des programmes de qualité et d’efficience seront présentés pour les exercices à venir, avec un diagnostic de situation, analysant, pour l’assurance maladie, les impératifs sanitaires et les priorités de santé publique, des objectifs retracés au moyen d’indicateurs, des moyens mis en œuvre pour les atteindre, et les résultats obtenus.

Les objectifs pourront concerner la gestion du risque, le contrôle des indus, la lutte contre la fraude, la qualité du service, la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, ou le niveau relatif des retraités et des actifs.

De même, une annexe est censée rendre compte de la mise en œuvre des dispositions de la LFSS de l’année en cours, et des mesures de simplification en matière de recouvrement des recettes et de gestion des prestations entreprises au cours de cette même année.

Une autre, enfin, doit justifier l’évolution des recettes et des dépenses, en détaillant l’impact, au titre de l’année et des années suivantes, des mesures contenues dans le projet de LFSS sur les comptes des régimes obligatoires de base.

Pourtant, n’est-il pas permis de s’interroger sur le caractère formel de ces mesures, dès lors que rien n’est fait pour permettre l’articulation entre les finances de l’Etat, les finances locales et les finances sociales ?

Plus précisément, est-il honnête de se targuer d’une avancée dans le domaine de l’évaluation des politiques sociales, quand la définition des programmes de qualité et d’efficience est tellement imprécise qu’on ignore si les partenaires sociaux et les responsables des caisses seront mis à contribution ?

Or, alors que les évolutions des périmètres des politiques sociales prises en charge par la Sécurité Sociale vont être décisives, alors que les responsabilités de chacun sont en train de changer, alors que des risques importants de transferts de charges existent, n’est-ce pas une lacune très regrettable ?

Tout cela revient à un seul problème, que le projet de loi n’a pas osé aborder, comme l’ont très justement fait remarquer nos collègues du Sénat : celui de la compensation intégrale des mesures d’allègement des cotisations ou recettes de la Sécurité Sociale décidées par l’Etat. Monsieur DOUSTE-BLAZY n’avait-il pas promis cette inscription au niveau organique ?

Je reconnais qu’un tel engagement nécessiterait, pour être parfaitement efficace, une modification de la LOLF, ce qui serait une procédure lourde et peu souhaitable.

Mais sans aller jusque là, je voudrais dénoncer l’absence totale d’articulation entre les deux textes, tant en ce qui concerne les impôts au produit partagé qu’en matière de sincérité et d’ouverture de crédits-dépenses.

Une préoccupation uniquement comptable

Le dernier élément, Monsieur le Ministre, que je voudrais souligner devant vous, est que la LFSS, telle qu’elle est chaque année proposée au vote du Parlement, se présente comme un « patchwork » de mesures, le plus souvent ponctuelles et conjoncturelles : elles ne disposent d’aucun lien entre elles, et sont incluses dans le projet de loi au fur et à mesure des contingences économique et comptable, rencontrées en cours d’année ; dans ces conditions, on ne peut que déplorer l’absence de réel volontarisme politique basé sur une rationalisation médicalisée des dépenses de l’assurance maladie, et le manque de synergie entre les différentes mesures contenues dans la loi.

Certes, il est indiqué que la détermination de l’équilibre financier de la sécurité sociale s’effectue « compte tenu notamment des conditions économiques générales et de leur évolution prévisible » ; et pourtant il n’est fait aucunement référence, dans le texte de loi, aux impératifs sanitaires, ainsi qu’aux priorités de santé publique. Les considérations économiques et comptables sont omniprésentes.

En fait, c’est toute une réflexion sur les déterminants fondamentaux des dépenses de santé qui fait défaut : seule une telle étude serait susceptible d’ancrer l’élaboration de l’ONDAM dans le domaine de la santé publique, en mesurant, lorsque cela est possible, leur incidence sur l’évolution de ces dépenses. Et c’est leur impact sur l’évolution des dépenses de santé, et, surtout, leur incidence quant à la détermination d’un ONDAM médicalisé, que j’aimerais brièvement évoquer.

Ainsi, qu’ils relèvent plutôt de l’ « infrastructure » (l’environnement, la croissance économique, l’âge et le vieillissement, le progrès technique, l’épidémiologie), ou de la « superstructure » (les représentations de la santé, l’organisation sociétale, les comportements socio-culturels, le système de santé, le système de protection sociale), ces déterminants peuvent être examinés à la lumière de trois discriminants majeurs :

la nature de leur incidence sur l’évolution des dépenses,

la quantification de leur impact sur ces dépenses, à partir des études existantes,

leur aptitude à être réformés ou leur « réformabilité » à court et moyen termes.

Si l’on fait le tour des déterminants, on peut ainsi en évoquer une dizaine : l’inertie de certains d’eux, et donc la difficulté d’entreprendre à court et moyen terme des actions correctrices pour l’élaboration d’un ONDAM volontariste médicalisé, est loin d’être négligeable ; ce n’est pourtant pas une raison pour les ignorer totalement, comme c’est le cas dans ce projet de loi.

Je me contenterai ici de prendre quelques exemples.

1° L’âge et le vieillissement.

Il est évident que l’on ne « vote pas » l’âge ou le vieillissement d’une population ; ils ne peuvent constituer que des données influant sur les dépenses de santé. Or il ressort des études les plus récentes qu’au cours de la dernière décennie, l’effet de la démographie sur la croissance des dépenses en volume s’élève à 1 point ; l’augmentation de la population peut expliquer 0,46 point de ce pourcentage et le vieillissement 0,54.

En outre, les affections cardio-vasculaires augmentent de 70% après 65 ans, les affections ostéo-articulaires, et les troubles endocriniens et du métabolisme de 60%.

Par ailleurs, les taux d’hospitalisation sont particulièrement importants aux âges extrêmes, avec, après 65 ans, un rôle important des maladies de l’appareil circulatoire (1 hospitalisation sur 5).

Au delà de ces considérations globales, il faut avoir à l’esprit que la santé des personnes âgées s’améliore, avec un accroissement de 2 ans, sur les 10 dernières années, de l’âge auquel l’espérance de vie est de 10 ans, alors que le système de soins développe des prises en charge de plus en plus « ciblées » vers les personnes âgées (maladie d’ALZHEIMER, interventions de chirurgie fonctionnelle...).

Ainsi l’importance de ce déterminant apparaît clairement, ce qui génère une certitude : il a une incidence forte sur les dépenses de santé.

Cette incidence doit également prendre en compte l’effet « génération », qui pèse sur les dépenses de santé par de nouvelles exigences : l’augmentation de l’espérance de vie a ainsi pour effet de diminuer l’impact du vieillissement sur ces dépenses, lorsque l’on sait que les assurés de plus de 80 ans consomment des soins moins coûteux que les assurés de 65 ans à 79 ans.

2° L’épidémiologie.

Vous imaginez bien, je présume, la précision apportée à la quantification de l’impact de ce déterminant par les structures mises en place pour assurer le suivi des pandémies de certaines affections contagieuses, comme la grippe.

On peut aussi s’accorder à reconnaîtrela portée non négligeable de ces affections lors de leur éventuelle survenance ; mais ce déterminant ne peut, par hypothèse, se concevoir qu’a posteriori. Dès lors, son opérationalité pour l’élaboration d’un ONDAM médicalisé doit être nuancée.

Toutefois, il pourra être pris en compte dans les procédures de suivi de l’ONDAM médicalisé, à l’occasion de l’analyse des dépenses de l’exercice n-1.

3° La croissance économique.

Différents modèles économiques soulignent l’importance de l’effet « revenu », mesuré par la croissance du produit intérieur brut, sur l’évolution des dépenses de santé.

D’après une étude menée dans 7 pays industrialisés, dont la France, les dépenses de santé ont augmenté depuis 1970 plus vite que le produit intérieur brut, mais avec une décélération de l’écart entre 1990 et 2000. En outre, la DREES a montré une corrélation forte, sur longue période, entre les évolutions des dépenses de santé et celles du produit intérieur brut : ainsi une croissance économique de 2% entraînera une évolution des dépenses de santé du même ordre.

Néanmoins, la valeur de cette élasticité est quelquefois remise en cause, ces dernières années, par l’influence conjointe d’autres facteurs déterminants, comme les représentations de la santé. En général, on observe en effet une diminution significative des dépenses de santé en période de récession, même s’il est vrai que cela n’a pas été le cas pour l’instant en France lorsque l’évolution de la richesse nationale a été négative : cela tient, très certainement, au fait que la période de récession n’a pas été suffisamment longue pour peser sur les effets des représentations de la santé.

On notera, enfin, que la croissance économique influe sur les dépenses de santé au travers des coûts de production, compte tenu, notamment, de la part importante des frais de personnel dans les budgets hospitaliers.

Par conséquent, si la croissance économique influe d’une manière si nette sur les dépenses de santé, et si sa quantification a fait l’objet de nombreuses études, sa « réformabilité », en tant que déterminant, se doit d’être établie. Or c’est là quelque chose dont l’actuel projet de loi ne se préoccupe absolument pas.

4° L’organisation sociétale.

Il faudrait également évoquer, à travers l’organisation sociétale, les modes de management, tout comme l’expérience de la sécurité dans l’exercice de l’activité professionnelle : ils ont une action sur la motivation des salariés, et pèsent, de ce fait même, sur l’absentéisme au travail, sous la forme de « maladies du stress » dans les entreprises de main d’œuvre.

Il en est de même, bien entendu, du taux d’accident du travail dans les branches d’activité.

Ainsi, lutter contre la précarité au travail par la mise en place d’une véritable « sécurité sociale pour l’emploi » (formation permanente diplomante, facilitation des reconversions, meilleure prise en charge du risque professionnel...), telle que préconisée par certains, ne pourrait qu’avoir des effets positifs sur l’évolution des dépenses de santé.

Plus largement, l’organisation de la société peut avoir des conséquences plus ou moins pathogènes. Ainsi les 35 heures peuvent-elles apparaître comme génératrices de bien-être pour les salariés, et donc amener à un moindre coût des dépenses de santé.

On voit bien l’extrême complexité de l’approche de ce déterminant quant à son influence sur les dépenses de santé. Ce n’est pourtant pas une raison suffisante pour l’évacuer à bon compte, comme vous le faites, du débat.

Vraiment, Monsieur le Ministre, il est inadmissible de faire ainsi le choix du libéralisme, c’est-à-dire de la stricte maîtrise comptable, avec le cortège d’injustices et d’inefficacités qu’elles entraînent ! L’action des pouvoirs publics devrait au contraire s’inscrire dans la volonté d’instaurer une plus grande justice, une efficacité sans cesse renouvelée, et une solidarité toujours plus forte entre nos concitoyens.

5° L’environnement

Le rôle fondamental joué par l’environnement, pris dans son sens le plus large, sur l’évolution des dépenses de santé n’est plus à démontrer.

Certes, la quantification des études en la matière n’est pas chose aisée, de même que la conception d’une politique volontariste à court et moyen termes pour l’élaboration d’un ONDAM médicalisé. En effet, les résultats ne sauraient être tangibles qu’à long terme, et l’approche est rendue difficile par la nécessaire intervention de plusieurs départements ministériels toujours difficile à coordonner.

Je m’en tiendrai pourtant à deux exemples significatifs, qui selon moi prouvent qu’on ne peut exclure cette problématique du débat :

- la pollution urbaine tout d’abord :

Si ses effets sur la santé et plus particulièrement sur le développement de certains cancers sont confirmés, une approche purement comptable de l’effort de la nation dans le domaine de la santé publique apparaît comme un véritable scandale. Ou alors il faudra bien admettre, à terme, une limitation généralisée de la circulation en ville pour obtenir une réduction de cette pollution, sous réserve que l’on accepte l’investissement que constitue la construction de grands parkings en périphérie des villes.

- l’obésité chez les jeunes d’autre part :

Une récente campagne de publicité, menée par un important restaurateur nord américain, incitait le public, et plus particulièrement les jeunes, à la prise de petits repas tout au long de la journée. Si nous n’en sommes certes pas encore là, comment prétendez-vous maîtriser les dépenses de santé sans agir en amont sur les déterminants de celle-ci ?

Ne pourrait-on, par exemple, imaginer que la réglementation, qui régit déjà la publicité sur l’alcool et le tabac, tout comme celle faisant appel à l’exploitation du corps humain, s’exerce également sur la publicité touchant l’environnement et la nutrition ?

6° Les comportements socio-culturels.

Nous entrons, ici, dans le domaine de l’un des trois déterminants fondamentaux de la santé publique dont la « réformabilité » apparaît possible pour l’élaboration d’un ONDAM médicalisé, surtout dans une perspective de pluriannualité. L’enjeu est donc majeur, dans un contexte de réforme des lois de financement de la Sécurité Sociale.

Les comportements socio-culturels pèsent en effet fortement sur l’évolution des dépenses de santé. Les actions collectives et individuelles qui les concernent, relèvent principalement de la prévention primaire. Leurs résultats, qui comportent d’incontestables marges de manœuvre, se sont considérablement améliorés, ces dernières années, parallèlement au développement des procédures d’évaluation.

A titre d’exemples, un cinquième environ de l’activité du système de soins concerne des patients présentant une alcoolisation excessive, le tabagisme sévit de plus en plus chez les adolescents et 14% des enfants de 6 ans présentent une surcharge pondérale (selon une enquête récente de santé scolaire). De plus, les accidents de la circulation, les accidents domestiques et le suicide des jeunes constituent de par leur évolution des problèmes incontournables de santé publique.

La tâche est donc immense dans ce domaine, qui voit la conjonction de facteurs individuels, familiaux et sociaux : et il ne suffit pas de dire que le résultat final sur l’inflexion des dépenses est souvent difficile à quantifier, pour ne pas s’en préoccuper !

9° Le système de santé.

De la même façon, le système de santé apparaît comme un déterminant absolument fondamental des dépenses de santé, sur lequel les actions correctrices proposées doivent être les plus nombreuses.

Et ceci en raison de :

sa forte incidence sur les dépenses de santé, en amont comme en aval du processus de soins ;

la possibilité de mesurer cette incidence sous forme analytique à l’aune de l’évaluation de la qualité des soins ;

la volonté de l’ensemble des acteurs d’accepter une réforme allant dans le sens de l’amélioration du service médical rendu.

Or si la « réformabilité » de ce déterminant apparaît à l’évidence, ce qui explique qu’il soit concerné par l’essentiel des leviers de l’action volontariste pour l’élaboration de l’ONDAM médicalisé, rien n’est fait en ce sens dans votre projet de loi.

10° Le système de protection sociale.

Je terminerai mon tour des déterminants des dépenses de santé par l’évocation du système de protection sociale : très lié au précédent, il se présente également comme « réformable ».

En effet, les modalités de prise en charge, les caractéristiques de la couverture sociale, tout comme d’ailleurs la fixation des tarifs et le mode d’attribution des ressources, déterminent largement le comportement des producteurs comme des bénéficiaires de soins. Ainsi, on a pu montrer que les dépenses des bénéficiaires de la CMU pour l’hospitalisation sont supérieures de 20% à celles engagées par les autres assurés complémentaires.

Ce déterminant est donc, à n’en pas douter, un élément essentiel de régulation médicalisée de l’évolution des dépenses de santé. Si le Gouvernement, comme il l’a montré avec les retraites ou encore l’assurance-maladie, persiste à faire le choix d’une réduction de la solidarité nationale à sa portion congrue, il sera à long terme pris dans son propre piège, car il devra en payer encore plus cher les conséquences de ses déremboursements massifs.

J’arrêterai là mon tour de ces aspects socio-économiques essentiels, qui ont pourtant été totalement ignorés par la loi.

J’espère toutefois vous avoir convaincus qu’une réflexion sur la maîtrise des dépenses de santé ne pourra faire l’économie d’une réflexion plus globale sur la prévention. Or, quelques mois après le vote de votre grande loi sur la santé publique, il me semble que ce serait une occasion manquée que de ne réfléchir que sur des déterminants comptables. Rendez-vous compte, que, selon certaines études, les déterminants fondamentaux « objectifs », peuvent, à eux seuls, expliquer 3 à 3.5 points en volume de l’évolution des dépenses de santé !

Je le répète : seule une interrogation sur les déterminants fondamentaux de l’évolution des dépenses de santé pourra fonder un diagnostic pertinent sur la constitution des dépenses.

Concrètement, malgré le nombre imposant d’annexes, je propose au moins d’en ajouter une, qui ferait le lien entre la loi de programmation de santé publique (avec les objectifs et les priorités de santé publique qu’elle comporte), et la LFSS.

Plus radicalement, il semble aberrant que les annexes, qui se présentent comme une avancée, ne soient pas liées au corps de la loi de financement. En quoi, d’une part, le rôle de la représentation nationale est-il renforcé si elle ne peut amender les annexes ? En quoi, d’autre part, les préoccupations sanitaires sont-elles prioritaires par rapport aux aspects techniques et financiers, si les seuls passages qui y font référence n’ont aucune valeur normative ?

En guise de conclusion, Monsieur le Ministre, je voudrais simplement dire que l’ensemble de ces considérations doivent faire l’objet d’un travail plus approfondi : elles montrent donc que le projet de loi organique ne peut pas être considéré comme satisfaisant.

Nous ne sommes pas dupes : derrière votre discours prétendument scientifique se cachent des contingences purement économiques - autrement dit des enjeux de maîtrise comptable au lieu de maîtrise médicalisée.



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